Souvenez-vous : quelqu’un, vous en zombie, rentre dans un magasin. L’après-midi vous vous êtes engueulée avec Jules ou votre chef de service. Alors vous achetez les dix, quinze, vingt premiers CD qui croisent votre regard vitreux. Comme ça. En trois minutes. Compulusivement. Pour compenser le stress. Pour exister contre l’humiliation. Contre la dictature conjuguale. Pour vous sentir être. A travers ces pauvres objets superflus.
Mais en vérité vous n’êtes pas plus. Vous avez plus. Juste un peu plus de CD inutiles. Que vous n’écouterez pas, que vous refilerez à votre petite nièce, que vous revendrez à un vide-grenier. Vous avez plus de CD et moins de pognon sur votre carte de crédit. Qui est toute votre vie. Vous l’arracher serait vous arracher le coeur.
Qui n’a pas été victime de l’achat frénétique, faux anti-stress et véritable attrape-couillon ? Tout un chacun a connu cet instant d’égarement. La peur du manque / angoisse de perte est l’unique moteur de notre société d’abondance. C’est le syndrome du chariot roulant “presque” vide.
Alors la vraie question, lorsque l’on croit que le bonheur est dans les pastilles vert-Prozac ou bleu-Viagra, ou dans la prochaine distribution de dividendes (un conseil : spéculez, ça rapporte plus) ou dans les dégriffés, ou dans les soldes deux fois par an, la vraie question est : qu’avez-vous fait de votre âme ?
Notre espérance de vie, en France, est de : 82,5 ans. Nous n’avons plus connu de guerre sur notre territoire depuis plus d’un demi-siècle. La famine a disparu de notre paysage depuis plus de deux siècles. Nous avons tous une machine à laver le linge. Nos enfants ont tous une console de jeux. Nous sommes si riches, si beaux, si puissants.
Et tant d’entre nous sont si tristes ! Si vieux ! Atomisés, désubjectivisés par ce monde fétichiste qui marchande et tarife tout ! En passant, remarquez qu’Internet ne va rien y arranger, qui distancie encore un peu plus nos relations, les rend plus évanescentes.
La véritable désobéissance civile, la vraie, la seule rébellion c’est de ne plus acheter. Non pas cesser de consommer. Mais (re)commencer à produire. Un peu.
Exemple : le pain n’est plus du pain, mais une vague pâte fabriquée industriellement avec « agent de sapidité » et conservateurs, surgelée, cuite en dix minutes. Les boulangers artisans ne sont pas parvenus à obtenir ne serait-ce qu’une appellation d’origine. Je profite de cette occasion pour dire : « Merde à l’Europe ! » Qui croit qu’une appellation est une entrave à la libre-concurrence. Alors que ce serait surtout une entrave à la grande distribution qui nous vend de la daube.
De tout ce ressentiment, que faire ? Le maître-mot : désobéissance civile ! Je pétris mon pain, j’y rajoute des noix, des raisins secs, du sésame, je mixe les farines, d’épeautre, de seigle, de blé. Et de même, je cuisine : finis les plats préparés, finis les surgelés infects. Je suis redevenu « producteur de moi-même » en cultivant mon jardin … potager.
Car j’ai enfin compris que cette richesse, cette beauté, cette puissance, comme Faust, nous l’avons tout simplement payé du prix de notre âme. Nous gagnons notre vie à la perdre. Mais nulle Marguerite pour nous délivrer de notre stress, de notre solitude, de ce grand vide. Juste le Conotron qui vous sussure à l’oreille de dire : “abrenuncio Satana tibi et pompae suae”