C’est de l’histoire ancienne, mais tellement dégueulasse qu’elle est difficile à oublier. Omayra Sanchez avait douze ans. Le 17 novembre 1985, dans le journal de 13 heures de TF1, Jean-Claude Bourret présente: “Le document que vous allez voir dans quelques secondes restera gravé, toujours, dans nos mémoires, la mort d’un enfant, la mort d’une petite fille qui luttait pour la vie de toutes ses forces, depuis 50 heures”.
Enfoncée dans la boue jusqu’au cou depuis trois jours, Omayra a les jambes coincées sous les madriers de sa maison écroulée, après l’éruption du volcan Nevado del ruiz, à 150 kms de Bogota. Les sauveteurs sont impuissants à la secourir. Elle meurt par épuisement.
Ces images de la mort en direct sont puissamment morbides. Parce qu’il est noyé dans l’émotion, le téléspectateur ne voit pas la véritable information, à savoir le manque de moyens des secours face à la catastrophe. En annonçant d’emblée au téléspectateur que la fillette est morte, celui-ci sait qu’il va assister à son agonie. L’impact de l’image est directement liée à sa facilité de lecture. Il n’y a aucune morale ou pédagogie dans cette image et Omayra n’est pas seulement exemplaire de la misère du monde, une icône de la douleur humaine, elle est surtout devenue l’illustration du voyeurisme de la télévision, voleuse de la dignité des victimes.
C’eut été précisément le travail du journaliste que de se détacher de l’émotion obscène pour revenir à l’information. La maladie, la vieillesse et la mort, c’est-à-dire la souffrance, font partie du monde. Mais plus le monde dans lequel nous vivons tentera de la gommer, en cachant ses malades ou ses vieux dans des mouroirs, en réclamant de plus en plus de sécurité, jusqu’à réduire tous les risques de la vie à un illusoire risque-zéro, plus nous évacuerons la souffrance par la porte plus elle reviendra par la petite fenêtre de la télé.