Les Français oublient souvent les grands fondamentaux de la démocratie. C’est pourquoi le Conotron s’efforce d’y revenir et de faire oeuvre de pédagogie. C’est vrai après tout, pourquoi faudrait-il forcément être nain et habiter l’Elysée pour donner des leçons… Je ne suis ni l’un ni l’autre, mais voici quelques grandes idées à retenir au sujet du conflit d’intérêt.
Exemples sous forme de questions: un parlementaire, qui vote et fait la loi, peut-il rester avocat d’affaires (Jean François Copé, comme Nicolas Sarkozy en son temps)? Est-il normal qu’un sénateur soit rémunéré comme chargé de mission au sein de GDF, entreprise publique (Gérard Longuet) ? Qu’un autre sénateur (Philippe Marini) cherche à rentrer au conseil de surveillance d’une société foncière? Que le dircab d’une ministre des finances cherche à pantoufler à la tête d’Areva (Alexandre de Juniac)? Ou que l’ex-conseiller du ministre de la culture atterisse comme patron de l’INA (Matthieu Gallet)? Ou que l’ex-secrétaire général de l’Elysée (François Pérol) saute sur le groupe Banque Populaire – Caisse d’Epargne, après avoir créé Natixis, filiale d’investissement commune des deux banques, puis supervisé leur rapprochement depuis l’Elysée? Et quid du cumul entre fonctions dirigeantes (Henri Proglio) dans une entreprise publique – EDF – et une boîte privée – Véolia? Ou encore pourquoi certains conseillers de Xavier Bertrand, ministre de la Santé, ont partie liée avec, entre autres, le laboratoire Servier, fabricant du Mediator? La liste est longue et Martin Hirsch l’a dénoncé dans un livre-brulôt comme le Conotron les aime…
Définition: lorsqu’un individu est impliqué dans de multiples intérêts, l’un d’eux peut fausser sa perception des autres. Ainsi un conflit apparaît lorsqu’une personne, investie d’une fonction d’intérêt général, voit son intérêt personnel entrer en concurrence avec la mission publique qui lui est confiée: l’élu membre d’une commission d’appel d’offres ne peut attribuer le marché à l’entreprise dont il est lui-même gérant, actionnaire ou salarié; de même le fonctionnaire qui a été donneur d’ordres auprès d’une entreprise et qui un jour “pantoufle” et va émarger à l’effectif de cette même entreprise; ou le cabinet d’avocat qui défendrait simultanément le plaignant et le défenseur dans une action en justice; ou le médecin qui vendrait ou percevrait une rétribution pour les médicaments qu’il prescrit. C’est une partie du sujet de la pièce de Jules Romains “le docteur Knock” et c’est bien ce qui se passe en France aujourd’hui entre les labos (Servier, par ex.) et le corps médical.
La Commission Sauvé, qui a rendu un rapport sur le sujet le 26 janvier 2011, définit le conflit d’intérêt comme une: “situation d’interférence entre une mission de service public et l’intérêt privé d’une personne qui concourt à l’exercice de cette mission, lorsque cet intérêt, par sa nature et son intensité, peut raisonnablement être regardé comme étant de nature à influencer ou paraître influencer l’exercice indépendant, impartial et objectif de ses fonctions.”
Selon la loi française, trop souple sur le sujet, le conflit d’intérêts n’est pas en soi un délit, mais la “prise illégale d’intérêts” qui en découle, oui. Tout conflit d’intérêt ne génére pas d’acte préjudiciable. C’est subtil mais peut-on vraiment penser qu’il suffise que la personne en situation délicate sorte de la pièce lors d’une délibération sur un candidat à un appel d’offres, par exemple, pour que le délit ne soit pas constitué ? Je crois qu’il faut avoir une vision particulièrement extensive de l’intérêt en cause et du conflit potentiel. Et SANC-TION-NER !
Car au total le conflit d’intérêt mine la confiance accordée par ses électeurs à tout décideur public. Confiance dont tout élu doit pouvoir se prévaloir. D’autant qu’on dit conflit, mais ça ne fait jamais mal, car l’intérêt est bien toujours un peu le même: le pognak! Je dirai même que “ça” fait parfois beaucoup de bien, en alimentant un compte bancaire personnel ou en payant des frais de campagne électorale via un micro-parti.
Yves Mény, émérite professeur de droit public, faisait remarquer devant la Commission Sauvé que le tout premier conflit d’intérêt était celui issu du cumul des mandats. En quoi, j’approuve: j’ai connu ainsi un député qui, par discipline partisane (un autre mot pour connerie) votait à l’Assemblée Nationale les transferts de compétence aux conseils généraux, et qui, une fois rentré dans sa circonsription et redevenu président de conseil général, n’avait plus que ses yeux pour pleurer que ce transfert n’était pas compensé par l’Etat, qu’il devrait encore augmenter les impôts locaux, et “quel scandale!” et gna gna gna. Quels intérêts défendait-il à l’Assemblée Nationale? Certainement pas ceux de ses contribuables! Et pourtant cet élu était judiciairement tout ce qu’il y avait de plus propre sur lui.
Il arrive parfois que le “conflit d’intérêts” soit tellement vaste et organisé qu’il se transforme en “trafic d’influence”. Ainsi dans une des affaires Bettencourt, pensez-vous normal que Florence Woerth, épouse du ministre du budget – donc de celui qui lance les chiens du fisc sur telle ou telle proie – fasse du conseil fiscal auprès d’une des premières fortunes de France? Ca a été tellement efficace que le groupe entier n’a eu à subir aucun contrôle pendant 15 ans. Tout le monde a triché à tour de bras sans risque de représailles. Le trafic d’influence semble ici évident entre Eric Woerth, son épouse, Liliane Bettencourt et Patrice de Maistre, patron de la société Clymène “employant” Mme Woerth.
Autre conflit d’intérêt, doublonné d’un pur cas de népotisme, évident pour tous sauf pour l’intéressé: la tentative de nomination de Sarkozy, Jean à la tête de l’établissement public de La Défense (EPAD).La présidence de cet établissement public n’est pas qu’une question de niveau d’émoluments ou de politique d’aménagement d’un quartier d’affaires. Maîtriser cette institution, n’est-ce pas avoir la haute main sur quelques unes des plus grosses entreprises de France? Et je ne parle pas de prévarication ou de dessous de table en disant ça. Juste d’intérêts partagés, car bien compris.
En fait, il ne faut pas chercher très longtemps pour trouver en face de chaque mesure à portée financière un peu conséquente, prise par ce gouvernement ou son président, un proche, un ami, ou une caste – celle du Fouquet’s – à qui la mesure va profiter. Les prédateurs sont au coeur de la République. Dont l’étymologie latine: “res publica” (le bien commun) a été, pendant les cinq ans écoulés, jetée aux orties.
Et tout ça pour pouvoir s’acheter une Rollex avant cinquante ans… Pffuiit !