Les Seigneurs/Saigneurs de la guerre

Il y a des images plus inquiétantes que celle montrant Marine Le Pen, éclatant de rire, toutes dents dehors, sous les feux ou la flamme d’un projecteur, avec en arrière-plan, dans l’ombre, les visages impassibles et blêmes de ses deux sbires qui font figure de suppôt de Satan. Ce sont les images que les médias en Russie et partout ailleurs, ont largement diffusées juste après l’attentat de Moscou la semaine dernière. Elles montrent le visage tuméfié, ayant vraisemblablement subi des tortures, des terroristes présumés coupables.

Si ces images ont contenté dans leur majorité, l’opinion publique russe, elles n’ont fait peur à personne dans l’opinion publique française, pas plus qu’elles n’ont inquiété, sinon, à peine, les journalistes.

Et pourtant…

 

Je pense à l’image que Lucien Bodard montre aux lecteurs de « Monsieur le Consul »(prix Interallié, 1972) celle de la punition infligée aux Chinois présumés coupables d’avoir tiré sur le fils du consul de France (Lucien Bodard enfant) en promenade avec sa nourrice dans la ville de Tcheng Tu, capitale du Sseu Tchouan. Nous sommes en 1920. En réparation de cet attentat, la punition est décidée d’autorité par le seigneur/saigneur de la guerre, général chinois commandant la région.

« Au milieu, deux poteaux. Des bourreaux s’affairent très professionnellement autour des deux individus nus qui y sont attachés. On est en train de les démembrer vivants. Quand nous approchons, mon père et moi, , ils n’ont déjà presque plus de bras, d’omoplates et de côtes.Tas de viande qu’on nous fait voir en surveillant notre contentement pendant que les clairons sonnent (…)
Aurais-je eu des remords si on m’avait alors appris que ces pauvres démantelés n’avaient rien fait ? qu’évidemment ce n’était pas eux qui avaient tiré vers moi. Ils n’étaient que des coolies ramassés dans la rue, plus probablement des prisonniers pris dans une geôle car le seigneur de la guerre n’allait pas se donner la peine de chercher les vrais coupables. Lesquels d’ailleurs auraient risqué de se trouver parmi ses propres soldats. »

Quels liens cette image a-t-elle avec celles des visages tuméfiés évoqués plus haut ? D’abord 2 seigneurs/saigneurs de la guerre : le général chinois, Poutine. Ensuite: des actes de torture. Enfin, qui sait si les présumés coupables ne sont pas de pauvres moujiks de Tchétchénie ou d’Abkhazie ou bien des prisonniers d’un goulag septentrional que la police russe est allée ramasser vite fait car le seigneur de la guerre ne se donne pas la peine de trouver les vrais coupables ?..

Professeur Mottro, 30 mars 2024