La nostalgie est étymologiquement : nostos= retour, algos = douleur, une pathologie du passé. Une vision apeurée d'un temps révolu auquel tout un chacun voudrait retourner mais ne le peut. La nostalgie, comme «réaction contre l’irréversible», selon les mots de Vladimir Jankélévitch. Pourquoi le passé fait-il moins peur que le futur ? Pourquoi n'a-t-on pas la nostalgie des temps futurs ?
Avant, c'est avant la globalisation et la mondialisation. C'est avant la guerre (laquelle, il y en a eu tant ?). C'est surtout avant ma propre finitude, ma mort. Et l'instant présent, bien sûr aussi un peu. Dans ce qu'il a de plus fragile.
Pourtant il faut bien se dire que même si ce n’était pas mieux avant, mais ça pourrait être bien pire après !
Il est toujours possible de ré-écrire l'histoire à son avantage. A commencer par sa propre histoire, celle de son passé. Au grand tamis de la mémoire, ne sélectionner que le meilleur, oublier les privations, les maladies, les connards qui vous pourrissaient déjà la vie avant. On sait bien que l'histoire ne repasse pas les plats, et pourtant on voudrait le croire. Parfois même revivre une époque que l'on n'a pas connu mais dont on a seulement entendu parler, surtout chez les jeunes. Et plus on vieillit, plus on voudrait mettre en cohérence ses actes avec ses motivations premières, celles de son adolescence, juste pour pouvoir se donner le beau rôle, pouvoir se dire que vivre cette vie n'a pas été vain. Alors que... Eh bien, vous savez !
Tandis que le futur reste toujours à écrire. Nulle tricherie possible. Et qui plus est, ce n'est pas vous tout seul qui l'écrirez car le futur est une production collective. Comme le passé notez bien. Mais là, sur le futur, les rôles sont assignés, insignifiants. Impossible de tirer la couverture à soi. Pas de ré-interprétation, pas de peau de héros dans laquelle se glisser, pas de lunettes roses à chausser. Dans le futur, la disparition collective est toujours possible. Cela s'appelle même le déclin de la nation, ou l'extinction de l'espèce. Le futur exige donc une improvisation permanente pour éviter ces écueils, c'est bien son côté flippant.
Pour ma part, chevillée au corps, j'ai la nostalgie de ce futur, avec tout ce qui reste à écrire, de ce destin collectif auquel je ne participerai pas et qu'on appelle parfois : le destin de l'humanité. J'aimerai tant savoir comment continuera l'histoire après ma mort, l'histoire de ceux que j'aime ou que j'ai aimés et perdus de vue. Comme dans ce petit film qui m'a beaucoup ému : "Ma vie sans moi..."
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"- Il y a un texte d’Aristote se plaignant des jeunes hommes de son temps… écrit il y a donc environ 2500 ans… Il se plaint que c’était mieux avant...
– Alors, ça veut dire que ce sera toujours pire ensuite ?
– Non, ça veut dire qu’en vieillissant, les êtres humains tendent tous vers la même vision stéréotypée de leur jeunesse. D’avant… De quand c’était toujours bien mieux que maintenant."
in Voubard et Péchuquet de Gustave Flaubert